Deux ans après le très pop et très baroque LOVETRAIN2020, le chorégraphe israélien, nouvellement installé à Marseille, revient pour Montpellier Danse. Ciselant l’espace et plus inspiré que jamais, il donne chair et corps aux deux derniers actes de Tosca de Puccini. Magnifique !
Place de l’Œuf, devant l’Opéra Comédie, il y a beau monde, en ce soir de première. Les élégantes se sont mises sur leur 31, les autres ont préféré des tenues moins habillées et plus confortables pour supporter les fortes chaleurs. Petit à petit, la longue file disparait sous les ors du grand théâtre à l’Italienne, imaginé en 1888 par l’architecte Joseph-Marie Cassien-Bernard (1848-1926), élève de Charles Garnier. La sonnerie résonne dans le hall, battant le rappel : dans quelques minutes les premiers arias de l’acte II de Tosca de Giacomo Puccini vont envahir l’espace, toucher les cœurs, transpercer les âmes.
Opéra à corps
Passionnée, jalouse, fiévreuse, l’impétueuse Tosca déchaîne les passions, celle de son amant le peintre Caravadossi, un opposant au régime, et celle de Scarpia, tyran qui a mis Rome au pas. Face aux assauts répétés de ce dernier, aux menaces qu’ii fait peser sur la vie du seul homme qu’elle aime, la belle accepte de se sacrifier corps et âme, précipitant au galop le trio vers son funeste destin. S’emparant de cette matière hautement inflammable, l’épurant de toute fioriture, Emanuel Gat entraîne ses onze danseurs — Églantine Bart, Thomas Bradley, Robert Bridger, Gilad Jerusalmy, Péter Juhász, Michael Loehr, Emma Mouton, Eddie Oroyan, Rindra Rasoaveloson, Ichiro Sugae & Sara Wilhelmsson — dans une aventure folle, une expérience unique, pour laisser leurs corps nus entrer en résonnance avec les voix transcendantes de La Callas, de l’illustre ténor italien Carlo Bergonzi et du nom moins fameux baryton Tito Gobbi. L’effet touche au divin.
Passe d’âmes
Rien n’est plus beau que l’impromptu, l’inattendu. En 2020, empêchée de jouer, de danser et de présenter LOVETRAIN2020, la troupe d’Emanuel Gat répète sans relâche et profite de ce temps libéré pour initier, à l’été, une résidence de deux semaines à Metz. En quelques jours, la pièce s’esquisse, se dessine et devient réalité. Jaillissent, d’un côté, de l’imagination des danseurs, les gestes et les mouvements, et de l’autre, la musique de Puccini choisie par le chorégraphe israélien dont c’est la première insertion dans le monde opératique. Au fil de la pièce, une alchimie s’opère, les muscles bandés des interprètes rencontrent les graves, les aigus. Comme habités par la partition de Tosca, les corps nus magnifiés par les lumières travaillées comme toujours avec minutie par Gat, semblent portés vers état second proche de l’extase. Autrement plus fort qu’une transposition du drame amoureux, Act II & III or The unexpected Return of Heaven and Earth invite sans artifice, mais avec une densité rare, la passion dévorante des uns et le désir de possession des autres au plateau.
Clin d’œil scénographique
En reproduisant de manière stylisée, par des jeux de lumières et fenêtres, le studio Cunningham de l’Agora où répète souvent la compagnie, Emanuel Gat susurre en filigrane son amour de Montpellier et de son festival de Danse. Œuvre exigeante, renvoyant à une autre forme de musique pop, celle de la la fin du XIXe siécle, le chorégraphe israélien passe un nouveau cap, signe un spectacle rare, tenu, bouillonnant autant que précis entre ombres et lumières et offre à ses danseurs une pièce de choix, un bijou d’une rare beauté.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier